Café et conception : La caféine est-elle une alliée ou une ennemie de la fertilité masculine ?
- Dr Lucile Ferreux

- 1 nov.
- 6 min de lecture

La fertilité masculine est un sujet de préoccupation croissante, les facteurs masculins contribuant jusqu'à 50% des problèmes de fertilité qui touchent environ 13% à 15% de la population en âge de procréer à l'échelle mondiale. Parmi les habitudes de vie scrutées, la consommation de caféine, présente dans le café, le thé, les sodas et les boissons énergisantes, est souvent remise en question.
Mais que dit la science sur l'impact réel de cette substance sur la qualité du sperme et les chances de concevoir ? Les preuves actuelles, résumées dans plusieurs revues systématiques, sont présentées ici.
La Caféine, une molécule puissante
La caféine (1,3,7-triméthylxanthine) est une molécule qui traverse facilement les membranes biologiques. Elle est absorbée par voie orale avec une biodisponibilité d'environ 100%, atteignant un pic sanguin en 15 à 45 minutes après consommation.
Bien qu'une consommation modérée soit associée à des effets protecteurs (contre les maladies cardiovasculaires, le diabète ou Parkinson, par exemple), des quantités excessives peuvent avoir des effets délétères sur la santé.
💡 Quelques repères :
☕ Café : 100–135 mg / tasse
🍵 Thé : 50–70 mg
🥤 Soda : 40–70 mg
⚡ Boissons énergisantes : jusqu’à 280 mg
1. Caféine et paramètres spermatiques : Un bilan mitigé
Les chercheurs ont analysé l'impact de la consommation de caféine sur des indicateurs standards de la qualité du sperme : volume, concentration, nombre total, mobilité et morphologie.
Données contradictoires: La majorité des études montrent que les paramètres spermatiques ne semblent pas affectés par la caféine provenant du café, du thé ou du cacao.
• Volume et Concentration : En général, aucune relation n'a été observée. Cependant, l'étude de Marshburn et al. a noté une concentration plus élevée chez les hommes consommant 4 tasses de café ou plus par jour, par rapport aux non-buveurs.
• Motilité et Morphologie : La motilité et la morphologie ne présentaient généralement pas de différence significative selon l'apport en caféine. Seule l'étude de Marshburn et al. a rapporté une proportion significativement plus élevée de formes anormales (31% versus 28% dans les autres catégories d'apport) chez les hommes buvant 4 tasses ou plus de café par jour.
L'exception des Sodas et Boissons Énergisantes
Les études mettent fortement en évidence une distinction entre la caféine provenant des boissons chaudes (café/thé) et celle des boissons gazeuses :
• Plusieurs contributions suggèrent un effet négatif des boissons contenant du cola et des boissons gazeuses caféinées sur le volume, le nombre total et la concentration des spermatozoïdes.
• Par exemple, une consommation plus élevée de cola est associée à une diminution du volume et du nombre total de spermatozoïdes.
• Cependant, cette association négative n'est pas nécessairement due à la caféine ; elle pourrait être causée par d'autres facteurs (comme une alimentation moins saine, l'insulino-résistance ou le syndrome métabolique) ou par d'autres composants des sodas.
2. Le risque majeur : Les dommages à l'ADN du spermatozoïde
Le principal mécanisme par lequel la caféine pourrait nuire à la reproduction masculine passe par l'atteinte à l'intégrité génétique des spermatozoïdes.
L'étude transversale de Schmid et al. a analysé l'ADN de spermatozoïdes chez 80 hommes sains non-fumeurs. Les hommes ayant l'apport le plus élevé en caféine (>308 mg/jour, équivalent à environ 2,9 tasses de café) présentaient environ 20% de plus de taux de fragmentation de l'ADN, un résultat statistiquement significatif (P = 0,005 après ajustement).
3. Fécondation et taux de grossesses
Plusieurs études prospectives ont examiné si la consommation de caféine par l'homme prolongeait le délai jusqu'à la grossesse ou affectait les résultats des techniques d'aide médicale à la procréation (AMP)).
Étude | Conception | Population (N) | Apport en Caféine | Résultat Principal |
Florack et al. | Cohorte Prospective | 259 couples | Élevé (≥8 boissons caféinées/jour) | Réduction de la fécondabilité* (OR ajusté = 0,6). |
Jensen et al. | Cohorte Prospective | 430 couples (non-fumeurs) | Très élevé (>700 mg/jour) | Réduction de la fécondabilité* (OR = 0,47) par rapport à 0–299 mg/jour. |
Wesselink et al. | Cohorte Prospective | 2135 couples | Élevé (≥300 vs. <100 mg/jour) | Réduction de la fécondabilité* (FR = 0,72). Les sodas caféinés et boissons énergisantes étaient particulièrement associés à une réduction. |
Karmon et al. | Cohorte Prospective (ART) | 105 couples | Très élevé (≥265 mg/jour) | Association négative avec le taux de grossesse clinique par cycle initié. |
*La "fécondabilité" est définie comme la probabilité par cycle menstruel (ou par mois) de de débuter une grossesse.
Ces résultats suggèrent qu'un apport élevé en caféine (souvent défini au-dessus de 300 à 700 mg/jour) chez les hommes pourrait être associé à une diminution des chances de conception spontanée.
Caféine et Dysfonction Érectile (DE)
Il est intéressant de noter que l'effet de la caféine sur la fonction érectile est également débattu.
• Une étude transversale menée sur 3724 hommes américains (NHANES 2001–2004) a révélé qu'une consommation modérée de caféine était associée à une réduction de la probabilité de survenue d'une DE;
• Les hommes situés dans les quintiles d'apport allant de 85 à 303 mg/jour (soit l'équivalent d'environ 2 à 3 tasses de café par jour, représentant 170 à 375 mg/jour) étaient moins susceptibles de signaler une DE (OR ajustés : 0,58 et 0,61 respectivement) par rapport à l'apport le plus faible (0−7 mg/jour).
• Ce bénéfice potentiel est attribué à la capacité de la caféine à induire la relaxation des artères péniennes et des muscles lisses caverneux, améliorant ainsi le flux sanguin.
Mais la méta-analyse 2024 de Karimi et al. (J Health Popul Nutr, 51 665 hommes, 4 cohortes) vient nuancer ces résultats :Aucune association significative entre caféine et DE (RR = 0,94 ; IC95 % : 0,86–1,03).
En clair : ni bénéfice prouvé, ni danger établi et l’effet positif pourrait venir du mode de vie cardiovasculaire plus sain des buveurs modérés.
Le rôle antioxydant du café
Au-delà de la caféine, le café est l’une des sources alimentaires les plus riches en antioxydants. Ces composés (polyphénols) participent à la réduction du stress oxydatif, un facteur clé impliqué dans les dommages à l’ADN des spermatozoïdes et la diminution de la qualité du sperme.
Certaines études expérimentales montrent que la caféine pourrait atténuer les lésions oxydatives au niveau testiculaire et améliorer la qualité du sperme, en agissant comme un piégeur des radicaux libres. De manière plus globale, une alimentation riche en antioxydants (vitamines C, E, zinc, sélénium, lycopène…) reste associée à de meilleurs paramètres spermatiques.
En conclusion : Que faut-il retenir ?
La littérature suggère que si la consommation de café (sans tenir compte d'autres facteurs de confusion comme l'alimentation globale ou le tabagisme) n'a pas d'effet clair et uniforme sur les paramètres spermatiques classiques (volume, concentration, motilité), elle pourrait néanmoins nuire à la fonction reproductive masculine, potentiellement par le biais de dommages à l'ADN des spermatozoïdes, notamment sous forme de cassures double brin, en particulier à des doses élevées.
L'évidence actuelle est inconsistante en raison de l'hétérogénéité des méthodes de mesure de l'exposition à la caféine et des critères d'évaluation des résultats. Utiliser la consommation de café seule comme indicateur de l'exposition à la caféine sous-estime l'apport total.
Le Conseil Actuel : Des études bien conçues avec des critères définis pour l'analyse du sperme et la définition des habitudes de vie sont essentielles pour fournir des preuves solides. En attendant, la prudence est de mise. L'impact potentiellement positif sur la fonction érectile ne doit pas masquer les risques associés à un apport excessif en caféine sur l'intégrité génétique du sperme, un facteur crucial pour la conception.
💬 À retenir
☕ Le café, consommé avec modération, ne nuit pas à la fertilité ni à la fonction érectile.🌿 Il constitue même une source majeure d’antioxydants, bénéfique dans une hygiène de vie globale.⚠️ Les excès et les boissons sucrées caféinées → à limiter.🎯 Comme toujours : la dose fait le poison.



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